La violence n’est pas que physique : quelle éducation, pour quelle violence ?

Article : La violence n’est pas que physique : quelle éducation, pour quelle violence ?
Crédit: Photo by Sue
31 mai 2023

La violence n’est pas que physique : quelle éducation, pour quelle violence ?

Comme nous l’entendons de plus en plus, nous sommes en plein dans la décennie des femmes. Il y a peu, bon nombre de sujets étaient tabous au Bénin. Les violences faites aux femmes, les discriminations, le harcèlement, les viols et j’en passe. Et quand nous parlons des violences faites aux femmes, nous avons tendance à seulement nous appesantir sur les violences physiques en oubliant celles psychologiques. Pas de claques, pas de coups ou de blessures physiques et pourtant elles détruisent à petit feu celles qui les subissent. Ces femmes se meurent de l’intérieur.

Crédit photo : Liza Summer pour Pexels

« Un langage fleuri pour me faire comprendre que je ne suis rien… »

Nous sommes aujourd’hui le 02 du mois et comme à l’accoutumée, Alice fait le bilan. L’horloge à côté indique qu’il est 02h 30, l’heure de Morphée.

Assise sur son lit, elle sourit en pensant à son ex-conjoint, qu’elle a quitté depuis peu et dont les mots résonnent toujours en elle. Mais cette fois-ci, ces mots n’ont plus leur écho.

En effet, Alice fait partie de la grande masse des jeunes béninoises qui, ayant reçu une ‘’bonne éducation’’, sait qu’il faut la fermer quand son conjoint, époux, petit ami, frère, (pourvu qu’il soit un mâle) s’adresse à elle. Se taire, bien se tenir et chercher plus tard le moyen, la manière appropriée pour placer deux ou trois mots. Pas plus.

« Il me disait souvent : «  tu n’as rien dans la tête. Tu n’arriveras jamais à rien dans la vie’’. Il ne ratait aucune occasion. Et pauvre de moi, j’y croyais. J’y ai cru longtemps. Même après notre rupture. Pourtant, avec brio, j’avais réussi mes études. J’arrivais toujours en tête de lisse tout au long de mon cursus. J’ai toujours été la meilleure. Cependant, je l’ai cru. Pourquoi ? Comment n’ai-je pas vite pu prendre conscience du mal qu’il me faisait ?

Et surtout, comment comprendre qu’un homme qui prétendait m’aimer, puisse vouloir ma perte ? Je l’écoutais et le croyais même quand il mettait à terre mon amour propre et ma capacité de discernement. On me l’a si souvent chanté que pour moi, c’était devenu une vérité : ‘’le sexe masculin est un dieu, ton dieu’’. Mais dites-moi : Dieu ment-il ? »

Vivre sous l’ombre d’un autre

Crédit photo : Alex Green pour Pexels

Vivre sous la surveillance de son conjoint, c’est le quotidien de nombre de béninoises. Alice témoigne qu’elle devait donner à son conjoint ‘’sa position géographique’’ toutes les fois où elle était en déplacement et ‘’le prouver avec une photo’’. J’avais tout le temps peur de lui, explique-t-elle. Et s’il passait à l’étape suivante ? Et s’il se mettait à me frapper ?

Dans ce genre de relation, il est difficile ou même impossible d’avoir du temps pour soi, des ambitions, des rêves et des économies. Mes projets, il les trouvait toujours ‘’ nuls’’ et pas avenus ou ‘’prioritaires’’ quand il daignait m’écouter a- t-elle ajoutée.

Un contrôle permanent, une domination qui chosifie la femme et la prive de toute liberté.

« Pourquoi tu n’as pas répondu au téléphone ? C’était qui ? » « Non mais tu as vu comment tu étais habillée ? Que penseront mes amis, mes parents de toi ? ».

Fondamentalement, des prédispositions conditionnent la femme béninoise à normaliser ce type de violence. L’éducation, les constructions sociales justifient que certaines femmes subissent des violences psychologiques sans chercher à partir ou à dénoncer.

La violence psychologique est « l’ensemble des propos, des actes, des gestes à l’encontre de l’autre, qui laissent des blessures non pas d’ordre physique, mais mental ». Selon Donald TOGBE, psychologue clinicien, ce type de violence entraîne une « dépendance psychologique, physique, sexuelle …. Elle consiste à utiliser des mots ou à agir de façon à contrôler quelqu’un, à lui faire peur, à l’isoler ou à lui ôter sa dignité, a-t-il souligné.

Que prévoient les textes ?

L’étude commanditée par le Ministère de la Famille des Affaires Sociales, de la Solidarité Nationale sur les violences faites aux femmes au plan national a révélé que : « sur environ 52% de la population que constituent les femmes, 69% ont déclaré avoir subi des violences au moins une fois dans leur vie. Plus de la moitié des femmes interrogées (51,5%) ont subi au moins une fois dans leur vie des souffrances physiques ou morales. Ces souffrances subies sont les cris sur la femme (72,8%), les menaces de divorce (32,8%) , le refus de manger ce que la femme a préparé (30,9%), les plaintes du comportement de la femme à la belle-mère (26,9%), les injures à la femme devant les étrangers (22,6%), les violences sexuelles (28,5%), le viol de filles de 2-14 ans (1,4%), le rapt (8,5%) et l’excision (15,0%) ».

Le nombre de femmes violentées en Afrique, en général et au Bénin en particulier, n’est pas négligeable. Des femmes continuent d’être violentées tant physiquement que moralement. Pourtant, notre pays s’est doté de plusieurs instruments juridiques au niveau national qui visent la protection des victimes de violences spécifiquement celles conjugales. Mais tant qu’il n’y a pas de coups, il n’y a pas d’appel à l’aide ; donc pas de protection.

La Loi n° 2011-26 du 09 janvier 2012 portant prévention et répression des violences faites aux femmes prévoit en son article 17 : « Dans chaque département, les centres de promotion sociale doivent prendre en charge les femmes victimes de violences aux fins de leur faire bénéficier des services sociaux d’urgence, d’accueil et d’assistance. Ces services sont organisés de façon à répondre aux besoins urgents et à apporter un soutien pluridisciplinaire durable ».

Crédit photo : Nataliya Vaitkevich pour Pexels

Dans ce type de violence, les mots engendrent des maux

Des mots horribles, des mots qui font mal, des mots qui vous renferment et vous enferment, des mots qui vous assiègent et vous détruisent. Les conséquences sont dévastatrices et mortelles. Donald TOGBE évoque « des troubles relationnels, des troubles du sommeil, la perte de l’estime de soi, l’agressivité, les addictions, la dépression, les difficultés de concentration et d’apprentissage dans le milieu scolaire ». Ce fut le cas d’Alice qui s’est éteinte à petit feu : « Je n’avais plus aucune personnalité et j’étais persuadée de n’être rien, de ne rien valoir. Il m’a détruite sans me porter des coups, sans douleurs physiques. Il m’a détruite avec ses mots ».

Ainsi donc, sans aucune douleur physique, elles se retrouvent à être possédées par un individu, à être réduites a rien, à ne plus être elles-mêmes et à accepter des mots inacceptables. Reprendre confiance en soi, se retrouver, reconstruire sa personnalité et reprendre sa vie en main est un processus difficile et fait de plusieurs phases. Une thérapie est nécessaire.

Alice nous témoigne qu’elle a mis du temps pour se remettre complètement de cette « histoire ». « J’ai repris confiance en moi très doucement, mais sûrement. J’ai repris contact avec mes amis et j’ai finalement eu le courage de le quitter. Je pense foncièrement qu’il faut revoir l’éducation à la base. Inculquer les mêmes valeurs et principes à nos filles qu’à nos garçons ; ne faire aucune distinction de sexe ».

Une double approche pour instaurer un changement

Une double approche impliquant deux types d’interventions est requise afin que les filles puissent revendiquer leurs places dans la société et y restées. Tout d’abord, permettre au système éducatif de fonctionner pour les garçons autant que pour les filles est une étape essentielle pour améliorer les opportunités et les résultats des filles. Elle vise à permettre à plus de filles d’aller à l’école et surtout, d’aller au terme de leur cursus scolaire. Elle nécessite donc une approche qui cible les filles de manière spécifique.

Angélique KIDJO, parlant de son action humanitaire pour l’éducation des jeunes filles, le dit si bien « Le secondaire, ça permet une transformation totale des sociétés » et des mentalités.

Cette étape est nécessaire mais insuffisante.

Crédit photo : Anna Shvets pour Pexels

La seconde intervention vise une approche prenant en considération les différents milieux de vie de l’enfant et de l’adolescente. En effet, nous ne pouvons considérer le développement de la fille comme un tout dissociable de son environnement. Il faudra donc revoir l’éducation à la base, à la maison. Apprendre aux parents, que la fille a le même poids et les mêmes capacités qu’un fils.

Apprendre à la génération, relève de demain, que les mots façonnent l’enfant autant que les actions. Et qu’il n’y a rien de bon à normaliser ce type de violence. Il faudrait donc en parler.

Nous n’irons donc pas à la manière ‘’Simone de Beauvoir’’ mais plutôt à celle ancestrale. Prendre appui sur nos mères qui du haut de leurs expériences, prennent de plus en plus conscience de l’importance du sujet, des évidentes répercussions de cette éducation sur la femme, sur la société.

Pour que ça change, pour éviter de refaire les mêmes erreurs, de tomber dans les mêmes travers, il faut un partage de connaissances.

Au Bénin, la violence psychique existe. Il faut aussi en parler parce qu’elle détruit.

Étiquettes
Partagez

Commentaires